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du 11 janvier au 13 mars 1998 |
| Livre III - Mexique 98 |
photo Jean Luc Bitton Oaxaca" San Cristobal de las Casas, cest un endroit où confluent folklore, monuments coloniaux et musées. Dans cette ville, on trouve une atmosphère pacifique et accueillante. La vie passe comme un fleuve tranquille." (Extrait dune brochure du Secrétariat du Tourisme de lÉtat du Chiapas)
Des manifestations ont eu lieu dans tout le Mexique. Des policiers ont tiré à Ocosingo au Chiapas : une femme est morte, plusieurs blessés. Malgré toute cette pression, Marcos conserve son humour et signe son dernier communiqué : Subcomandante Insurgente Marcos alias Speedy Gonzalez. Ce type est décidément incroyable.
Avons goûté hier soir à la délicieuse cuisine dOaxaca, en compagnie de Claudia, une argentine très sympathique, qui nous a offert en guise de pousse-café, du posh, cette boisson alcoolisée que boivent les Tzotziles de San Juan Chamula, lors des fêtes religieuses. Une boisson plus douce que le mezcal, avec une saveur de fleurs. Départ pour San Cristobal ce soir.
San Cristobal de las CasasRencontre de Florian qui voyage depuis quatre mois à travers lAmérique centrale, tout en filmant avec sa camera vidéo HI 8 le monde Maya. Il se plaint également de la faune militante stalinienne de San Cristobal : " Marcos a pété, panique, lodeur nous est encore inconnue."
Une grippe intestinale nous a cloués au lit. Besoin de soleil et de plage. Prévoyons de quitter demain soir San Cristobal pour le Yucatán : Merida, le golfe du Mexique, etc. Envie de voyager léger, je laisse ici lordinateur et le plus gros des bagages.
MeridaAprès une journée de bus, sommes arrivés à Merida, capitale du Yucatán. Voyager de jour nous a permis dadmirer les sublimes paysages des hauteurs du Chiapas : montagnes recouvertes dune dense végétation tropicale de laquelle émergent les toitures des villages indiens. Frustration de ne pas pouvoir sarrêter. Je me sens comme dans un aquarium. Promesse de revenir. Nous logeons à lhôtel Sevilla qui semble avoir été laissé à labandon depuis lépoque coloniale. Acheté trois hamacs et un Panama...Il fait chaud. Les femmes yucatèques sont belles. Regards intenses. Du sang maya : yeux en amande.
ProgresoAvons passé la journée à la recherche dOlga, rencontrée il y a trois ans ici. La postière nous affirme quelle vit toujours à Chuburna, petit village de pêcheurs au bord de locéan, à quelques kilomètres de Progreso. A Chuburna, nous trouvons la maison dOlga, déserte. Nous discutons avec deux pêcheurs, Francisco et Alfonso, qui la connaissent et nous disent quOlga vit maintenant à Chicxculub, au Sud de Progreso. Nous allons sur place, en vain. Avons mangé à Chuburna de délicieux empanadas de crevettes, arrosés de bière glacée. Chuburna vit au ralenti, ensablée dans les dunes, locéan est calme, plages à perte de vue. Les gens sont amicaux, ils nous saluent en souriant. Demain, nous poursuivrons nos recherches.
Vingt-et-une heure, dans la chambre dhôtel en béton, éclairée au néon (léclairage le plus populaire au Mexique), le ventilateur qui vrombit au-dessus de nos têtes, nous attendons Olga qui nous a laissé un message cet après-midi. Avons croisé dans la ville, nos deux sympathiques pêcheurs, leurs sourires chaleureux nous apportent un peu de réconfort dans un Mexique, où jusquà maintenant, seuls les Indiens nous ont abordé avec humanité.
Nous rendons visite chaque jour à Olga, dont la maison se trouve à lextrémité de la jetée de Progreso. Entre deux cours de français pour des enfants de riches Mexicains ("la caste divine"), elle passe son temps dans le vaste jardin tropical qui se trouve à larrière de sa maison. Elle réalise également de magnifiques figurines et colliers avec des coquillages ramassés au fil des années sur la grève. Dorigine polonaise, Olga est arrivée au Mexique, il y a plus de vingt ans, après avoir quitté sa famille et son travail de rédactrice pour Paul Robert, linventeur du Petit Robert. Comme tous les exilés des tropiques, elle souffre de la solitude. Nous lécoutons parler des heures, sans pouvoir placer un seul mot. Avons visité la maison de Francisco et Alfonso, les deux frères pêcheurs de Chuburna. Trois pièces au sol carrelé bleu azur. Sur un mur est accroché un hamac. Le mobilier se limite à deux chaises. Sous lévier, un carton où se trouvent rangés quelques vêtements de rechange et ceux pour les grandes occasions. Cest tout. Un tel dépouillement est intimidant, nous osons à peine nous asseoir sur les chaises. Je souris intérieurement en pensant à tous ces décorateurs qui séchinent à concevoir des intérieurs dans la mouvance actuelle dont les concepts sont basés sur la simplicité et la sobriété. Quils fassent un détour par Chuburna pour expérimenter le vivre Zen.
MeridaAvons quitté Progreso, sans regrets. Retrouvons la grande ville et ses plaisirs...
Visite de Chichen Itza, important site Maya situé à quelques heures de Merida. Des touristes de toute nationalité parcourent le site, camescope au poing, filmant le moindre détail. Je grimpe en haut de la principale pyramide El Castillo, mais également à lintérieur de lédifice, par une sorte de tunnel escalier qui débouche sur un sanctuaire. Le coeur battant à cause de leffort, jessaie de retrouver ma respiration, sans succès. Aucune aération, je me sens de plus en plus oppressé. Je réussis à enrayer la panique qui menvahit en contemplant le trône en forme de jaguar aux yeux sertis de jade, qui se trouve dans le sanctuaire. Je ne mattarde pas et entame une délicate descente dans lescalier glissant dhumidité. Certains sont restés en bas, rebroussant chemin devant la claustrophobie et le vertige que procurent cette ascension in vitro. Je suis fasciné par la finesse des bas-reliefs sculptés sur les murs et colonnes des temples. Sur certains, on peut encore voir le pigment rouge qui teintait les pierres de Chichen Itza. Avec le vert de la jungle qui lentoure, la vision de cette cité Maya devait être frappante. Nous partons demain pour Playa del Carmen, retour à la case départ. Envie de farniente au bord du bleu Klein de la mer des Caraïbes. Tout voyageur au Mexique viendra sy reposer, malgré la cherté de lendroit et linvasion touristique. Notre budget qui est déjà mal en point, va en prendre un sérieux coup. Notre retour se fera peut-être plus tôt que prévu. Espérons que les beaux jours seront précoces sous nos latitudes... Vu dans la Jornada dhier une photo de chômeurs manifestant dans les rues de Paris, sur les pancartes était inscrit : " chômage ya basta! "
Playa del CarmenBeaucoup de gringos dans les rues de Playa, nous sommes en haute saison, une chambre dhôtel se négocie entre 50 et 100 $ US la nuit. La solution est de louer une chambre en ville au mois, ce qui revient à 180 $ US. Nous avons choisi cette option... En définitive, les Caraïbes resteront pour nous lendroit le plus économique de notre périple, hormis laccès au Net qui ici est scandaleusement cher : 1$ US la minute ! Les disquette sont bien sûr prohibées... Nous mangeons tous les soirs au restaurant El Correo où pour quelques pesos on sert de savoureux et copieux antojitos. El Correo se trouve sur la Calle 1 entre la 15 et la 20. Téléphoné au Chiapas, il pleut et fait froid. La situation névolue guère. Comme de coutume, le gouvernement mexicain promet beaucoup, mais agit peu. Marcos, à juste raison, attend de voir avant de signer quoi que ce soit. Lecture du livre de Nicolas Arraitz : Tendre venin, de quelques rencontres dans les montagnes du Chiapas et du Guerrero.
En quatrième de couverture, on trouve un extrait de la Déclaration de principes de lEZLN : " Il faut une certaine dose de tendresse pour se mettre à marcher malgré tout ce qui sy oppose, pour se réveiller après une si longue nuit. (...) Il faut une certaine dose de tendresse pour virer tous ces fils de pute qui traînent par ici. Mais parfois il ne suffit pas dune certaine dose de tendresse, il faut y ajouter...une certaine dose de plomb. "
" Notre civilisation est malade. Il ny a pas que lexploitation et la misère matérielle, Marcelo, il y a la misère spirituelle. Et je suis parfaitement sûr que tu es daccord avec moi là-dessus. Il ne sagit pas dobtenir que tout le monde ait un frigo. Il sagit de créer un être qui soit humain pour de bon. " (Ernesto Sabato, Lange des ténèbres)
" Il se perdait en chemin, comme si, loin de vouloir arriver quelque part, la seule chose qui comptât pour lui était de profiter des simples beautés du projet. " (Ernesto Sabato, ibid)
Devant moi les eaux bleu-turquoise de la mer des Caraïbes, la plage est déserte, le gros des touristes est deux kilomètres plus loin, fidèle à linstinct grégaire de lêtre humain. Depuis deux heures, un pêcheur ne cesse de ramener des poissons à laide dun simple bout de bois avec du fil enroulé autour. Scène biblique. Entraperçu hier en plongée une raie géante et des poissons multicolores. Ciel bleu limpide avec ces gros cumulus quon retrouve à lhorizon de toutes les mers tropicales. En fond sonore, la musique arabo-andalouse de Macama Jonda, cassette achetée à Séville, lors dun périple en Andalousie. Livresse et la joie du flamenco et de la musique arabe, jusquaux larmes. Je me laisse brûler par le soleil.
Dans le Nord du Mexique, comme au Pérou, en Équateur ou en Argentine, les inondations succèdent aux pluies diluviennes. En Afghanistan, tremblement de terre, 4000 morts. Pour linstant, nous sommes épargnés. Ce nest que le début, nous affirment certains Cassandre qui prédisent en cette fin de siècle et changement de millénaire, guerres et catastrophes naturelles.
Une dent de cassée, pas de chance, une de devant.
Todo o nada titrait en gros caractères le journal de ce matin. Tout ou rien : lEZLN naccepte pas les modifications que le gouvernement mexicain aimerait imposer aux accords de San Andrès concernant lautonomie indigène. Quatre mille Indiens sympathisants zapatistes ont défilé hier dans les rues de San Cristobal pour exiger des autorités lapplication de ces accords signés il y a deux ans. Une centaine dobservateurs étrangers européens sont arrivés au Chiapas. Cette "ingérence" ne plaît pas à tout le monde. Certains médias (journaux, télés,etc.) ont entamé une véritable campagne de xénophobie. En 1997, deux cents étrangers ont été expulsés du Mexique, pour "activités politiques". Jai hâte de repartir pour San Cristobal, lambiance superficielle de Playa del Carmen commence à me peser. La chambre est une fournaise, le ventilateur à sa vitesse maximum ne fait que brasser lair chaud et humide. Jaimerais pouvoir dormir dans le hamac où lon ne transpire pas grâce aux mailles aérées. Reçu un e-mail de Pierre, dans lequel il mannonce la réception dun fax de Carmen Castillo, réalisatrice chilienne dun très beau documentaire sur Marcos, qui a été diffusé sur ARTE. Elle sera au Chiapas début avril. Faute de moyens financiers, je serai peut-être déjà rentré.
Rencontre dEmmanuelle et Sandrina. La première fait du courtage en tout genre, la seconde est mannequin. Elles vivent ensemble, à Paris. Les dragueurs de la plage ne semblent pas sapercevoir quelles sont gay. Même Brahim, joueur de volley, apprenti comédien et banlieusard parisien se fait duper. Discussion surréaliste.
Ce soir, notre propriétaire avait invité quelques musiciens : deux guitares, une contrebasse, des calebasses. Ils chanteront jusquau petit matin, avec ce rythme nostalgique propre à la musique mexicaine. Jécoute en contemplant le ciel étoilé, je me sens un peu réconcilié. Au Chiapas, la chasse à létranger est ouverte.
PalenqueLes ruines Mayas de Palenque. Après une nuit blanche dans un bus, nous les découvrons dans les brumes matinales, joyau endormi depuis des siècles dans la forêt tropicale qui semble vouloir conserver ce trésor en senroulant autour des pierres, jusquà les éclater. Ce site dépasse en beauté tous les autres du Mexique. Baignade dans les cascades bleutées dAgua Azul.
San Cristobal de las CasasLe trajet entre Palenque et San Cristobal est inoubliable. Temps merveilleux. La forêt est tachée de couleurs des éclosions des fleurs tropicales. Je dévore des yeux le paysage, Heureux de retrouver le Chiapas et les amis. Lambiance politique se durcit. Le gouvernement menace dattaquer les bases zapatistes, en faisant croire que Marcos ne veut pas négocier. Mais comment négocier avec un gouvernement qui ne respecte pas des accords signés il y a deux ans ? Autre signe de durcissement : lexpulsion en 24 heures du Père Chantau, dorigine française qui vivait depuis 32 ans au Mexique et soccupait de la paroisse de Chenahlo. On ne lui même pas laissé le temps de prendre ses affaires. Le consulat de France na pas bougé. Motif de lexpulsion : activités politiques. Au Mexique, dire la vérité est considéré comme une action politique.
Visite du village indien San Andrès. La fumée de lencens dans léglise, les miroirs sur les représentations religieuses où celui qui prie peut lire sur ses lèvres la réponse à sa prière. Hommes titubant sur la route. Le regard effrayé des Indiens.
Plan de "réconciliation" proposé par le nouveau gouverneur du Chiapas.
Le printemps mexicain est arrivé, il fait un temps magnifique qui nous ferait presque oublier la tension qui règne dans la ville. Une rumeur : des milliers de zapatistes auraient, après lexpulsion du Padre français, investi de nuit les rues de San Cristobal, puis seraient repartis sans bruit. Sorte davertissement au gouvernement. Avons été contrôlés, au retour dun voyage dans les Altos, par des agents de limmigration. Les expulsions des étrangers continuent.
Les rues de Montréal ne mont jamais paru aussi froides et tristes quaujourdhui. Séparation. Jaurais aimé éviter cette tristesse. Elle sest fait une nouvelle tête : coupe de cheveux très courte. Plus belle que jamais.
" Jusque-là, jaime mieux croire que cela ira mieux comme vous voulez bien me le faire croire; si stupide que soit son existence, lhomme sy rattache toujours. Excusez-moi du dérangement, je vous remercie, je vous souhaite bonne chance et bonne santé. Écrivez-moi. Bien à vous. " (Rimbaud à sa soeur Isabelle, le 10 juillet 1891)
| Livre de bord - Mexique 98 |